Avec 53% des suffrages exprimés, Nicolas Sarkozy a été confortablement élu Président de la République Française. Le sondage Ipsos/Dell réalisé dimanche à la sortie des urnes révèle un soutien massif chez les personnes âgées, important dans les catégories supérieures, et une percée dans les milieux populaires, particulièrement au sein des classes moyennes inférieures où il devance Ségolène Royal. Contrairement à l'adage "au second tour, on élimine", les questions de motivations du choix montrent qu'il a suscité une forte adhésion derrière sa candidature.
Avec un rapport de force particulièrement défavorable à la gauche au soir du premier tour, un score "gauche plurielle + extrême gauche" historiquement bas à 35%, la tâche relevait de la quadrature du cercle pour Ségolène Royal. Pour prétendre à un résultat plus serré, Ségolène Royal devait réunir quatre conditions. Obtenir 90% des reports de voix de la gauche non socialiste, au moins dix points d’avance dans le report des voix des électeurs de Bayrou du premier tour, bénéficier d’une forte abstention chez les électeurs frontistes et d'une mobilisation des abstentionnistes du premier tour en sa faveur. Sur tous ces points, le compte n’y est pas : 72% des électeurs de la gauche de la gauche ont voté Royal mais 20% se sont abstenus ou ont voté blanc, elle partage avec Nicolas Sarkozy les voix bayrouistes (38% contre 40%, 22% de non exprimés), et les électeurs frontistes ont largement choisi le candidat de droite (63%), ne respectant pas les consignes d’abstention de Jean-Marie Le Pen (25% de non exprimés).
Au-delà d'une défaite de la gauche, on a surtout assisté hier à la victoire de Nicolas Sarkozy. Alors que la logique "on premier tour on choisit, au second tour on élimine" dominait les motivations du choix aux précédents scrutins, le vote d'adhésion l'a cette fois emporté : 77% des électeurs de Nicolas Sarkozy "avaient envie qu'il soit président", soit 22 points de plus que le taux enregistré chez les électeurs de Ségolène Royal, chez qui l'argument de "barrer la route à Nicolas Sarkozy" était très présent (42%). A titre de comparaison, seulement 51% des électeurs de Jacques Chirac en 1995 "souhaitaient qu'il soit président", contre 43% qui voulaient en priorité "barrer la route à Lionel Jospin" (*).
Le nouveau Président de la République doit la netteté de sa victoire au soutien important des électeurs de plus de 60 ans. Il obtient 61% des suffrages des 60-69 ans, 68% chez les plus de 70 ans. L’hypothèse assez séduisante sur le papier d’un vote féminin acquis à Ségolène Royal est d'ailleurs contredite par l’attractivité de Sarkozy dans cet électorat : les deux tiers des femmes de soixante ans et plus ont voté pour lui. Plus globalement, le bon score de la candidate socialiste chez les 18-24 ans (58%) ne suffit pas à contrebalancer le vote du "troisième âge", qui était déjà acquis à la droite en 1995 dans les mêmes proportions ; avec le vieillissement de la population, les contingents deviennent néanmoins de plus en plus importants. Nicolas Sarkozy a par ailleurs obtenu de très bons scores en milieu rural (57%), et dans les villes de moins de 100000 habitants (55%). Dans les grandes villes et dans l'agglomération parisienne, Ségolène Royal fait en revanche jeu égal.
En plus du soutien des électeurs âgés et ruraux, Nicolas Sarkozy a tué le suspens en réussissant des scores plus qu'honorables dans les milieux populaires et particulièrement les classes moyennes inférieures : 49% des employés et des professions intermédiaires ont voté pour lui, 46% des ouvriers. Il a carrément gagné chez les moins diplômés, avec 51% des suffrages chez les sans-diplôme, 54% chez les titulaires d'un BEP ou CAP. Si 56% des électeurs dans les foyers aux "revenus modestes" ont choisit Ségolène Royal, le rapport de force est inversé dès la tranche supérieure : 53% pour Nicolas Sarkozy chez les revenus "moyens inférieurs". Comme le suggérait Eric Dupin au cours du dernier forum Ipsos avant le 2nd tour, Nicolas Sarkozy a finalement réussi, comme d'ailleurs la droite aux Etats-Unis, à prendre la gauche en sandwich : les riches qui veulent rester riches et les pauvres qui veulent devenir riches l'ont emporté sur la classe moyenne.
(*) Sondage Sortie des Urnes BVA/Zenith Data Systems réalisé le 7 mai 1995 pour Le Monde – 4798 électeurs interrogés à la sortie de 200 bureaux de vote répartis en France métropolitaine.