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15/07/2005
Négo...
En face de moi, Sahra Wagenknecht, 35 ans, allemande, communiste (old school), rapporteure pour la commission affaires économiques et monétaires sur la directive Services (Bolkestein).
A ma droite, Piia Noora Kauppi, 30 ans, finlandaise, libérale (trés), « shadow » du groupe PPE sur le même dossier. Chacune d’elles est entourée d’un staff (assistant + administrateur) issu de son groupe politique. Au milieu, il y a moi, accompagné d’une administratrice allemande du groupe socialiste, Ute Muller, et de mon collaborateur italo-belge Antonio Gambini. A ma gauche, Alain Lipietz pour les Verts est venu seul.
La réunion a été convoquée par Sahra Wagenknecht. Elle réunit autour d’elle les « shadows » de chacun des groupes politiques de la commission « affaires économiques et monétaires » sur le dossier « directive services ». Trois ont répondu à l’appel. Verts (Lipietz), PPE (Kauppi) et PSE (moi). Manquent les libéraux du groupe ALDE, mais nous apprendrons par leur administrateur que Kauppi parle aussi en leur nom. UEN, IND/DEM et NI (droite, souverainistes, ext-D) sont également absents.
L’objet de la réunion est la recherche d’un accord sur des amendements de compromis à la directive service. Nous sommes là au cœur d’une des pratiques les plus importantes du parlement européen. C’est là que se nouent (ou pas) les accords qui font les majorités en commission puis en plénière. Mais avant de revenir à la « négo », un rappel de la procédure et du contexte s’impose.
La commission « affaires économiques et monétaires » n’est pas la commission qui examine au fond la directive Services. C’est la Commission « Marché Intérieur » (dont je suis aussi membre) qui a en charge le dossier. Plusieurs autres commissions sont saisies pour avis. Les commissions, « Environnement », « Emploi », « Industrie », « Juridique » et enfin « Economique ». Ces avis sont déterminants parce qu’ils couvrent une partie spécifique du champ de la directive. L’avis de la commission affaires économiques et monétaire compétente sur les SIG est particulièrement attendu au sujet du champ d’application de la directive. Grosso modo, l’enjeu pour les socialistes est d’exclure SIG et SIEG (services économiques d’intérêt général) du champ d’application de la présente directive qui entend achever la réalisation du marché intérieur des services (+ de 60% du PIB de l’UE pour mémoire) et d’obtenir une directive supplémentaire qui légifère sur les services publics (SIG) en Europe. Dans les faits, on peut amender toute la directive même sur les sujets qui ne sont pas du ressort de la commission à laquelle on appartient, mais il est clair que c’est sur les SIG que notre avis comptera.
La réunion des « shadows » trouve sa place au terme d’un long processus (plusieurs mois) de discussions en commission, d’auditions et de séminaires. La rapporteure a rendu son projet. Elle y taille en pièces la directive Services. Les députés de la commission ont ensuite déposé leurs amendements au texte de la directive (pas au rapport). La mission de la rapporteure est à partir de son propre rapport et des amendements des députés de dégager les compromis possibles sur lesquels une majorité peut être trouvée. Pour mémoire, le rapport de force gauche/droite est de 40/60 dans la commission affaires économiques et monétaires.
Revenons donc à la négociation. Cette réunion des « shadows » a lieu l’ultime semaine avant les vacances parlementaires. Nous voterons en commission lors de la première semaine de septembre. C’est donc maintenant ou jamais que nos allons savoir si nous pouvons tomber d’accord notamment sur l’épineux dossier des services d’intérêt général.
La réunion a lieu en anglais, faute d’interprétation, et même s’il n’y a pas un anglais autour de la table. Sahra Wagenknecht nous propose une vingtaine d’amendements de compromis réalisés à partir de la synthèse entre son rapport et nos amendements. Ses amendements de compromis cherchent, article par article de la directive, à intégrer le suggestions ou les formulations des uns et des autres mais conservent cependant l’empreinte de leur rédactrice. L’orientation politique n’est pas absente de cet exercice. Au résultat, si les amendements proposés par Sahra Wagenknecht sont plus modérés que sa propre opinion, ils constituent un ensemble homogène de modifications du texte qui désamorce les principales menaces que fait peser cette directive sur l’économie et le modèle social européens.
Je n’ai aucun mandat de négociation du PSE à l’exception de la feuille de route que j’ai soumise à mes collègues socialistes de la commission dans un document stratégique de travail. J’ai donc bien l’intention d'avancer sur des bases hautes.
C’est Sahra Wagenknecht qui commence et dit sa volonté d’arriver à un accord. Pia Nora Kauppi prend la parole immédiatement et indique que les propositions de compromis sont inacceptables et qu’elle n’a absolument pas l’intention de perdre son temps dans la réunion puisque qu‘elle a un mandat clair du PPE et de l’ALDE : « pas de négociation – pas de compromis ». Ca fait cinq minutes qu’on est là et ma première négociation importante tourne court. Je tente donc de faire durer un peu en interpellant Kauppi sur la nature et la signification de son mandat : « Tous les députés du PPE sont ils d’accord avec cette ligne (je pense notamment aux français de l’UMP en principe favorables à l’exclusion des SIG du champ d’application de la directive). Que signifie cette ruade de la droite en « Economique » alors qu’elle a signé des compromis en « Emploi », « Industrie » et « Environnement » ? »
Elle me dit que le tempérament du PPE dans notre commission est plus radical que dans les autres et qu’il n’y aura pas d’accord. Alors juste avant qu’elle se lève, je tente une dernière tentative en proposant qu’on ne parle que des SIG et pas du reste. Elle me répond poliment, me sourie gentiment, salue la rapporteure lui dit bonne chance et nous souhaite de bonnes vacances.
Sahra Wagenknecht est dépitée. Elle a compris qu’elle devra probablement retirer son nom du rapport quand la commission aura amendé la directive dans un sens exactement inverse à sa proposition. On se donne rendez vous fin août pour faire le point sur l’homogénéité des troupes PPE. Lipietz lui claque une bise et on se quitte.
Jeudi, par téléphone mon assistant m’apprend que Kauppi n’avait semble t’il, aucun mandat formel du PPE. Elle aurait avancé sur ses propres bases, confiante dans sa capacité à convaincre ensuite ses collègues. Fort.
Posted by Benoit Hamon on juillet 15, 2005 at 03:45 PM dans Interventions au parlement | Permalink
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» Des nouvelles de la directive "Services" from Politique et LL, le blog de Bix
Deux députés européens, l'un socialiste (Benoît Hamon) et l'autre Vert (Alain Lipietz) nous racontent chacun dans son blog les tentatives de négociations autour de la directive "Services", plus connue sous le nom de "directive Bolkestein". [Lire la suite]
Notifié le 19 juil 2005 11:42:42
Commentaires
Fort? Oui, sans doute... Mais pas à notre avantage. Du coup, j'ai un peu du mal à être admiratif.
A noter le post d'Alain Lipietz qui parle aussi de cette rencontre, en des termes différents. Les deux points se complètent admirablement. Manque plus que les posts de vos deux interlocutrices...
http://lipietz.net/breve.php3?id_breve=81
Rédigé par : Philippe. | 15 juil 2005 20:58:38
Un post intéressant sur le travail des députés européens au Parlement et sur les clivages gauche/droite sur une directive importante.
RDV fin août.
Je compte sur vous pour leurs dire qu'un lecteur de votre blog les trouve jolies ;-)
Rédigé par : Helder | 15 juil 2005 21:58:45
A priori et sans recul, cela laisse tout de même songeur sur notre gérontocratie française...
Notre république est dirigée par des hommes blancs, diplômés, de plus de soixante ans, anciens fonctionnaire ou professions libérales ayant fait leurs études à Paris.
Difficile d'être en phase avec la population française avec ça.
Nous pouvons envier les allemands et les finlandais d'avoir de si jolies jeunes femmes pour nous représenter, le vrai problème c'est que nous n'avons guère de jeunes ni de femmes...
Qui croira que cela n'a aucune conséquence lorsqu'on travaille sur les retraites par exemple?
Il faut voyager pour se rendre compte qu'il s'agit d'une exception française de plus...
Rédigé par : Pierre Girard | 19 juil 2005 14:18:18
En fait les 2 commentaires de Benoît Hamon et de Alain Lipietz trraitent de 2 réunions différentes. Lipietz parle de la réunion officielle de la commission parlementaire ou l'avis Wagenknecht - services était en débat. Hamon commente la réunion de travail "informelle" de négociation entre les groupes politiques de cette même commission qui a eu lieu le lendemain.
Rédigé par : jan braccini | 19 juil 2005 18:43:43
Bonnes négos!
et bonnes vacances ;o)
Rédigé par : Benoît L. | 19 juil 2005 21:37:03
Je commence ma propre négociation ainsi, "confiante dans ma capacité à convaincre ensuite mes camarades" : Il faut une photo de tous les interlocuteurs, hommes et femmes ! Non mais !
Rédigé par : Ariane | 28 juil 2005 20:02:19
Sahra Wagenknecht :)
A la voir (très bien habillée, air bourgeoise, etc...) on ne dirait pas qu'elle est "Marxistin", c'est à dire qu'elle représente l'aile gauche de son parti (Die Linke) qui est déjà le parti le plus à gauche des Parlements allemands...
Rédigé par : David | 1 mai 2008 01:42:03
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